Même si je me suis revendiqué un peu « vieux con » lors de mon billet précédent, dans le but d’insister sur ce que l’âge ne me permet plus de supporter, en réalité, je me sens très jeune. Certains proches me qualifieront même d’immature, à commencer par ma petite dernière, qui se moque bien du haut de ses presque treize ans, qu’elle aura demain. Et je le prends finalement comme un compliment !
Puisque nous sommes tous condamnés à mourir, coronavirus ou pas, cela vaut-il réellement la peine d’être trop mature ? Ce n’est pas si certain. « Ne prenez pas la vie au sérieux, vous n’en sortirez pas vivant », disait Bernard de Fontenelle, ce qui lui permit au demeurant de vivre quasiment 100 ans, un exploit vu son époque. Comme quoi, la sagesse alliée à la légèreté est sans doute un ingrédient de la longévité. Et au-delà de cette performance, l’homme était érudit, en science comme en lettres. De surcroît, il défendit la modernité contre une certaine nostalgie de principe des anciens, une raison de plus de le citer dans ce billet.
Alors, quels sont les ingrédients d’une certaine forme de jeunesse, que je revendique malgré mon demi-siècle passé ?
Tout d’abord, je ressens toujours l’envie de regarder devant. On devient vieux lorsqu’on croit que l’essentiel est derrière nous, qu’on n’a plus rien à apprendre, plus rien à espérer. On devient vieux quand on pense que le monde était toujours mieux avant, et qu’on vit dans le regret du monde passé, comme l’air qu’adore jouer certains populistes en politique. Certes, il est des attitudes et des comportements nouveaux qui peuvent agacer, tant la technologie nous fait parfois oublier les bonheurs les plus simples et tant la consommation à outrance nous détourne par fois des choses plus fondamentales. Pour autant, il existe tout autant de bénéfices nouveaux apportés par l’innovation, qui permettent des choses incroyables, encore inimaginables il n’y a pas si longtemps.
C’est à chacun, même si c’est parfois difficile, de cultiver les vraies valeurs qui donnent un sens à la vie et aux relations humaines. Je crois que chaque époque permet de le faire, même si la façon et les enjeux diffèrent. Les grands hommes d’hier seraient certainement de grands hommes aujourd’hui, même s’ils s’exprimeraient et agiraient tout autrement avec d’autres moyens, d’autres connaissances et probablement même d’autres référentiels de valeur et de vertu. Je suis toujours étonné de retrouver dans des écrits de plusieurs siècles des vérités qui semblent s’appliquer au monde d’aujourd’hui.
Fort de ce constat, je prends l’expérience vécue comme un moyen d’aborder de manière plus armée et plus lucide les jours qui se dessinent devant moi. J’ai encore beaucoup d’envies, de rêves et de moments heureux à passer si la vie m’en laisse le loisir. Car l’âge permet aussi de savoir que tout peut s’arrêter à tout instant, pour chacun. Le décès d’une amie proche me l’a rappelé durement il y a moins de 6 mois. « On a deux vies, et la deuxième commence le jour où on se rend compte qu’on en n’a qu’une » disait Confucius, que je cite déjà dans le cartouche de ce blog. La sagesse asiatique a ses références, et je me souviens fort bien avoir effectué cette transition lucide vers ma ‘deuxième vie’.
De fait, je garde une soif intarissable d’aller de l’avant et d’apprendre. Il existe tellement de sujets à découvrir, que plusieurs vies ne suffiraient pas. Un professeur m’avait transmis la notion de « cône de la connaissance ». Les ignares ont tendance à penser que dès qu’ils ont acquis quelques connaissances sur un sujet, ils ont fait le tour de la question et sont des experts. J’ai adoré ce dessin d’actualité qui résume ce point avec humour.

Finalement, c’est souvent une réelle paresse intellectuelle qui en est la cause. Le vrai scientifique sait que plus il en sait, plus il lui en reste à apprendre, et loin de le décourager, cela le motive encore plus à avancer. En effet, nous avançons dans la science comme dans un cône. Plus nous avançons, plus l’étendue voisine de progrès augmente. Celui qui s’est arrêté au début et s’en est satisfait ne le mesure pas, mais celui qui s’est posé un peu plus de questions et a avancé dans le cône, sait qu’il existe une infinité croissante de choses à découvrir et à comprendre.

En intégrant ce point, l’humilité devient une évidence. Et les jugements à l’emporte-pièce perdent tout crédit aux yeux du sage.
Outre cette dynamique avant tout intellectuelle, j’ai le privilège d’être encore en bonne santé physique, ce qui me permet de continuer la pratique sportive et de me bouger, avec une énergie qui se renouvelle aussi dans l’action. Le volley-ball, sport collectif que je pratique depuis 30 ans, permet aussi de réunir des gens de tous âges et de garder l’esprit jeune. Quel bonheur d’avoir pu jouer plusieurs tournois avec ma fille aînée, et même en remporter un à plus de 50 ans !
Dans d’autres contexte, il m’arrive aussi de passer des soirées avec des gens jeunes, ou des groupes aux âges très mélangés, et je ne me sens pas forcément décalé. Le regard frais de la nouvelle génération, même s’il est parfois naïf sur certains sujets (et heureusement), est aussi ce qui permet de changer les choses et de remettre en question les aberrations auxquelles on peut s’être habitué au fil de notre vie. Mon amie plus jeune me demande souvent pourquoi telle ou telle chose admise existe, qu’il s’agisse de maltraitance animale ou de non-respect de notre planète. Ces questions sont légitimes et il est bon que ces causes soient devenues incontournables, même si on s’en est longtemps accommodé et qu’il n’est pas si facile de changer instantanément le fonctionnement du monde et d’une économie.
Quand j’essaye de me replonger dans le contexte de mon enfance, quel chemin parcouru sur les sujets du sexisme et de l’homophobie ! Il y a certes encore beaucoup à faire, et il existe aussi de nombreuses tendances régressistes, à commencer par le fanatisme religieux, mais je ne doute pas que les nouvelles générations se battront aussi pour préserver ces progrès. A l’époque de mon enfance, je ne savais pas réellement si l’homosexualité était une maladie et il était difficile de se revendiquer publiquement homosexuel. De fait, je n’en connaissais pas de proche… déclaré ! Quand je l’écris, j’ai même du mal à l’admettre. Cette situation est quasi-inexistante aujourd’hui, dans notre pays en tout cas, même si le sujet reste souvent difficile dans certains environnements familiaux. Il existe encore des gens qui s’interrogent, mais les mentalités sont tout de même bien plus tolérantes sur ce sujet dans les jeunes générations.
L’accès à l’éducation des filles est aussi un excellent levier pour faire évoluer les mentalités, tant celles-ci sont souvent plus lucides que les hommes, dont la testostérone a tendance à cultiver le caractère belliqueux, Renaud l’a fort bien chanté. Sans sombrer dans un féminisme exacerbé et intolérant aux hommes, le temps d’un réel équilibre est venu, et en tant que père de trois filles et oncle de trois nièces, je me réjouis de la tendance à un meilleur équilibre.
En réalité, l’âge me donne juste un peu plus envie de transmettre certaines choses que j’ai mis un peu de temps à comprendre, pour que certains jeunes gagnent du temps. J’ai la chance d’être dans le métier du développement logiciel, et cela fonctionne de la même façon. L’expérience est extrêmement utile, car certains invariants sont des fondamentaux sur lesquels on peut capitaliser. Cependant, sans une remise en cause et l’adoption des évolutions, un développeur qui reste figé dans les technologies et méthodes d’hier périclitera. L’optimal est dans la combinaison des deux forces, l’attrait de la nouveauté et la recherche de nouveaux bénéfices, inscrits dans la sagesse et les acquis de l’expérience. C’est en tout cas ainsi que je le vois, et donc que je le vis, dans mon métier comme dans le reste.
Et d’ailleurs, je dois vous avouer n’avoir probablement que 12 ans, puisque je viens seulement de vivre pour la 13e fois un 29 février. En fait, c’est évident, je ne suis pas vieux, je suis juste jeune depuis un peu plus longtemps que beaucoup d’autres.
Daniel