Il y a un an, après avoir observé les successions d’échanges stériles sur les réseaux sociaux en pleine crise des gilets jaunes, j’ouvrais ce blog. La première raison était le constat assez affligeant des limites et dérives de l’argumentation sur les réseaux sociaux, a fortiori lorsque la connotation politique entre en jeu. Eviter de parler politique était un autre bon moyen de fuir le problème, mais j’avais envie de donner mon point de vue sur certaines choses, tout en me forçant à la prise de recul. S’obliger à rédiger un billet complet et argumenté constitue déjà un premier niveau de filtre, qui évite les poncifs et injonctions péremptoires que l’émotion suscite en général assez rapidement lors d’une discussion quasi-synchrone au travers d’un clavier.
Un an plus tard, où en suis-je ? Après quelques billets qui m’ont permis de coucher les grandes lignes de mes propres convictions politiques, et quelques discussions directes avec des personnes sincèrement intéressées à débattre, le quotidien a repris ses droits et ne m’a laissé que guère temps de pour écrire. Ou plus précisément, cela n’a pas été ma priorité, car tout est une affaire de choix dans la vie. Et j’avais déjà assez de bonheurs personnels dont je voulais profiter une fois formalisées certaines de mes pensées. Néanmoins, même si j’ai délaissé ce blog quelques mois, la démarche ne m’a pas semblé inutile, et je compte reprendre le chemin de l’écriture de temps à autre en 2020. Tirons-en donc un premier bilan.
Le premier mérite de la démarche est tout personnel. En formalisant son opinion de manière développée et étayée, on se libère de la frustration des argumentations trop rapides et on évite les pièges tendus par les spécialistes de l’argumentation manipulatrice et simpliste des réseaux sociaux. Je conseille à chacun d’écrire ses idées lorsqu’un sujet lui tient à cœur, cela constitue déjà un excellent moyen de faire son autocritique et d’affiner sa propre pensée. En écrivant de manière structurée, on s’oblige à un peu plus de justesse, de raisonnement et de nuance. Une fois formalisée et publiée, on peut aussi relayer son opinion rapidement, sans simplification. Et on évite au passage l’excès qui amène parfois la colère. C’est déjà fort apaisant.
Le deuxième bénéfice est que, même si je ne l’ai pas respecté à 100%, je me suis beaucoup libéré de l’envie de réagir à chaque publication ou commentaire choquant pour moi. C’était un vrai effort car je n’aime pas spontanément laisser passer les inexactitudes et les raisonnements fallacieux. On évite ainsi le ping-pong émotionnel dans lequel on prend à parti les observateurs silencieux en mélangeant arguments rationnels et attaques personnelles de son contradicteur. S’il y a quelques polytechniciens de mon âge qui me lisent, ils comprendront à quoi je fais allusion, tant les débats par email sur la liste de la promotion 87 ont pris des tournures parfois surréalistes cette année… et je parle de gens plutôt instruits et capables de raisonner !

Enfin, troisième point, écrire quelque chose de construit, d’intelligent et d’argumenté prend du temps. C’est un excellent rappel à l’humilité, que je conseille vivement à toutes celles et ceux qui ont la critique facile des gouvernants, des responsables, des patrons, des étrangers, des politiques, des riches… enfin des autres finalement. Et pour ma part, j’ai préféré ne rien écrire que de publier des billets à la va-vite pour faire du remplissage. « De tous ceux qui n’ont rien à dire, les plus agréables sont encore ceux qui se taisent » disait fort justement notre ami Coluche.
A l’aube de la 2e année de ce blog, même si je vise de publier un peu plus régulièrement, je garde l’idée de n’écrire que quand j’estimerai avoir suffisamment de matière et de conviction personnelle pour produire un contenu.
Ce mini-bilan me permettant de reprendre contact avec mes (quelques) lecteurs, revenons-en au titre de ce billet. Ainsi donc, je me considère parfois comme un « vieux con ». Pour ceux qui me connaissent, cela doit les surprendre que je me définisse ainsi, en tout cas comme « vieux », au vu de mes fréquentations. Mais je vous rassure d’avance, mon prochain billet expliquera en quoi je suis en fait resté très jeune, cela me permettra de rétablir un certain équilibre.
Alors, que mets-je exactement derrière l’expression de « vieux con » ? Probablement le sentiment que je ressens assez nettement lorsque je débats avec des gens jeunes aux idéaux louables mais souvent assez naïfs et manquant parfois du recul de l’expérience. Je reconnais souvent ma propre personnalité ou vision à leur âge, et le fait d’avoir évolué dans mes convictions me fait percevoir que je dois passer pour un « vieux con » de leur point de vue.
En effet, si le temps nous a fait perdre certaines illusions ou certains idéaux considérés désormais comme utopistes, n’est-ce pas le signe que l’on est devenu un « vieux con » ? Je comprends en tout cas parfaitement cette perception et m’imagine assez bien dans leurs baskets… vu que je m’y trouvais il n’y a pas si longtemps. A propos de baskets, j’ai même rencontré le vrai Stan Smith lorsque Roland-Garros n’était pas si fréquenté, c’est dire !
Pour autant, il y a quelques éléments fondamentaux que je considère comme me distinguant de l’authentique « vieux con ». Tout d’abord, même si je revendique parfois le privilège de l’expérience et du vécu pour étayer certains propos et contredire la naïveté qui prévaut parfois à 20 ans, j’évite d’abuser de l’argument ou de prendre de haut des personnes au seul prétexte qu’elles soient plus jeunes. Si besoin, je partage les éléments d’expérience qui m’ont amené à penser différemment avec le temps, sans leur imposer d’y souscrire juste parce que je le dis.
Je les invite plutôt à observer et à se forger leur propre conviction, dont je suppose qu’elle rejoindra la mienne avec le temps, si l’observation est neutre, puisque c’est la propre démarche que j’ai suivie. Je me souviens avoir beaucoup appris de mon grand-père maternel sur ce sujet. Il était très calé en histoire, et son analyse des événements géopolitiques était toujours intéressante et équilibrée.
De plus, ce n’est pas parce qu’on ne croit plus à certains modèles trop utopistes qu’on doit renier les objectifs humanistes qui nous animent souvent à 20 ans. La vie m’a aussi appris qu’on pouvait contribuer à faire le bien, chacun en ayant ici sa définition, et ce de multiples façons en agissant à son niveau. On est réellement devenu « con » si l’on ne croit plus à rien et qu’on est devenu égoïste dans tous ses comportements. Fort heureusement, je ne crois pas que ce soit mon cas, et je pense d’ailleurs que beaucoup de gens agissent également en bien, même s’ils réagissent parfois verbalement en « vieux con » face à des positions dont l’expérience leur a appris à se méfier.
Pour conclure en tant que « vieux con » qui assume une partie de la définition, je supporte clairement de moins en moins celles et ceux qui se contentent de la critique, ce mal français autour duquel j’avais déjà centré mon premier billet. En effet, il est très facile de critiquer et blâmer les autres, de demander que ce soient les gouvernants ou les riches qui sauvent la planète ou payent notre retraite. Ce type d’attitude et d’argument ne m’inspire aujourd’hui que rejet et haussement d’épaules. Le petit dessin humoristique ci-dessous de Jérôme Vadon résume parfaitement cette mentalité franchouillarde qui m’exaspère de plus en plus en vieillissant :

Vous avez des convictions ? Une cause qui vous tient à cœur ? Agissez pour. Mais cessez de manifester contre quelque chose, de dénoncer telle ou telle pratique ou de vous indigner du comportement de telle ou telle personnalité. Chacun a le pouvoir d’agir à son niveau, de mettre l’énergie nécessaire pour faire avancer une cause ou de travailler assez dur pour obtenir les moyens qui lui semblent nécessaire à son besoin ou à son combat personnel.
Vous voulez agir contre le réchauffement climatique ou pour la planète ? Changez vos habitudes de consommation, informez-vous sur les biens que vous achetez, recyclez, réutilisez, covoiturez. Je n’oserais dire « prenez le train », en tout cas en ce moment, mais vous avez compris l’idée. Et même si cela nécessite d’y aller progressivement, la prise de conscience permet de faire émerger l’intention, et l’intention permet d’initier le changement. C’est nous qui consommons notre planète, pas seulement le voisin.
Vous voulez aller plus loin ? Innovez dans le domaine ! Je suis certain que de nombreuses solutions contre les travers écologiques actuels apparaitront au cours des années qui viennent grâce à la motivation et l’inventivité des nouvelles générations.
Quoiqu’il en soit, avec le privilège de la cinquantaine qui nous permet d’avoir vu le parcours de beaucoup de gens, il est assez net de constater que celles et ceux qui agissent s’en sortent toujours bien, quel que soit leur chemin. « Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche » disait Michel Audiard. Au-delà de toute théorie, je vois des gens qui contribuent à quelque chose et en sont heureux, et d’autres qui passent leur vie à observer et critiquer « les autres », sous une forme ou une autre, et s’avèrent finalement être les plus malheureux.
Oui, c’est un peu simpliste, mais observez, et vous verrez que c’est très vrai. La bonne nouvelle est que, finalement, chacun détient en main la majeure partie de son destin. Et si vous me trouvez « con », ce qui est votre droit, je vous le dis en réalité avec le grand Georges : « Le temps ne fait rien à l’affaire ».
C’est juste mon avis.
Daniel